A chaque fois qu’un des épisodes du podcast atteint un certain niveau d’audience, je peux être sûre de voir apparaître très rapidement dans les commentaires ou des messages qui me sont adressés l’expression « diversité des tactiques » et le nom de Peter Gelderloos. Le lien vers son livre Comment la non-violence protège l’Etat est systématiquement mis en avant. Je ne pouvais donc pas rester sans le lire. Surtout que dernièrement, il m’a aussi été fait la critique qu’opposer violence et non-violence ne servait qu’à diviser les mouvements de lutte. Cela m’a interpellée car j’y ai vu un non-sens complet – comment ne pas opposer violence et non-violence? – et cette profonde inversion de la violence qu’on voie à l’œuvre dans notre société. Les révolutionnaires non-violents sont catalogués « terroristes » quand ils gênent le pouvoir, « dogmatiques » et « intolérants » quand ils refusent que les partisans de la violence se mêlent à eux et maintenant, ils seraient celles ou ceux qui divisent la lutte, alors que cela fait longtemps que les militants qui revendiquent la violence discréditent les mouvements non-violents, remettent en cause leur efficacité, et apportent justement la discorde au sein même de la résistance – et les écrits de Gelderloos y sont pour beaucoup dans ce travail de sape. Pourtant, faut- il le rappeler : quand on croit que la non-violence est à la fois le moyen et la solution, accepter des partisans de la violence en son sein revient à se renier soi-même. Une stratégie basée sur la non-violence s’anéantit d’elle-même si elle accepte des tactiques violentes. Comment oser dire que ce sont les non-violents qui divisent les forces vives quand depuis toujours, c’est la violence qui a divisé les êtres, les familles, les peuples? Et je vous renvoie à mon précédent article « La mère de toutes les violences… ou le père ».
Si j’ai décidé d’écrire ce texte, à l’heure où toutes les alertes sont au rouge, c’est que j’y vois un sens véritable par rapport au but révolutionnaire visé par Peter Gelderloos et ses représentants, et que partagent les révolutionnaires non-violents, à savoir « la fin de toute forme d’oppression ». J’ajouterai que l’urgence actuelle pour bon nombre de militants est de sauvegarder le vivant, mais quand on y réfléchit, cela revient au même car c’est la domination de l’homme sur la nature rendue à son apogée par la folie capitaliste qui est en train de nous détruire.
Ecoutez la version audio de cet article :
Concernant cet ouvrage Comment la non-violence protège l’Etat, j’ai trouvé dans le livre publié par le collectif Désobéissances Libertaires, intitulé Une critique anarchiste de la justification de la violence une grande source d’inspiration et beaucoup d’arguments en défaveur de la thèse défendue par Gelderloos. Je serai donc amenée à en citer plusieurs passages, sachant qu’il s’agit de différents textes d’anarchistes non-violents réunis en un même recueil. Je vous invite chaleureusement à le commander et le lire si vous souhaitez aller beaucoup plus loin que ce simple article (vous pouvez le faire en cliquant ici).
D’abord, dès l’introduction de son pamphlet contre la non-violence, Peter Gelderloos fait une déclaration étrange : « Je me référerai aux défenseurs de la non-violence en utilisant la dénomination qu’ils ont eux-mêmes choisie, les activistes non-violent-e-s ou, de façon interchangeable, les pacifistes. » Qu’un militant aguerri qui semble connaître en profondeur les milieux non-violents puisqu’il écrit un livre dessus débute par un tel amalgame est pour le moins étonnant. Pacifisme et non-violence sont loin d’être interchangeables : le pacifiste veut préserver la paix à tout prix, au mépris s’il le faut des peuples et du respect des droits. L’exemple le plus célèbre est la signature en 1938 des accords de Munich qui au nom de la paix, trahissait la Tchécoslovaquie en permettant à Hitler l’annexion de la région des Sudètes. Le non-violent est prêt à se battre avec toutes les armes respectant l’adversaire, désobéissant aux lois s’il le faut, pour défendre ce qui lui paraît juste. « Le pacifisme est avant tout influencé par le désir d’éviter tout conflit » écrit Lakey cité par Sebastian Kalicha dans Une critique anarchiste de la justification de la violence, alors que « les révolutionnaires non-violents accueillent le conflit à bras ouverts ». C’est à se demander si Gelderloos a déjà milité avec des non-violents car pour lui, l’action non-violente se résume quasiment à organiser des marches et à demander bien doucement à l’Etat de devenir plus gentil… Il semble croire que la non-violence voudrait toujours rester du côté de la légalité. Mais il n’y a rien de plus faux! Et Sebastian Kalicha le dit : « ce qui caractérise précisément la désobéissance civile – une des formes de l’action non-violente – c’est d’être illégale ». Quant au sabotage, « il a été et est depuis toujours une forme de résistance appartenant en propre au mouvement ouvrier et qui n’a pas pour but de tuer ou de blesser, mais de provoquer des dégâts économiques en ralentissant le cours du travail ou en l’entravant. Dans tous les travaux qui traitent de l’histoire et de la théorie de l’action non-violente, on trouve une référence à cette tactique ».
« La violence n’existe pas » selon Peter Gelderloos…
D’autre part, « l’un des arguments centraux » de Peter Gelderloos est que « la violence ne peut être définie clairement ». Il dira même dans son autre livre « L’échec de la non-violence » que la violence n’existe pas, en arguant que personne n’a jamais réussi à se mettre d’accord sur sa définition. Dès les lignes suivantes, on est donc perdu, puisqu’il dénonce les non-violents comme ceux « qui dissuadent les autres activistes de tout recours à la violence ». De quoi parle donc Gelderloos puisque la violence ne saurait être définie?… « Violence » est un mot abstrait qui décrit des phénomènes très concrets. Et comme bon nombre d’autres mots abstraits tel que le capitalisme, l’injustice, la xénophobie, mais aussi la liberté, l’égalité et j’en passe, je doute que beaucoup de personnes sauraient les définir de manière identique. Est-ce à dire que la liberté n’existe pas, ni le capitalisme, ni l’injustice, etc.?
Évacuer un mot parce qu’il nous embête n’a jamais effacé les réalités qu’il revêt.
Porter atteinte à la dignité d’autrui, à son intégrité physique ou psychique relève de la violence. Un viol, un meurtre, une insulte relèvent de la violence. Le harcèlement, le racisme, le sexisme relèvent de la violence. Est-ce à dire que la violence est toujours à proscrire? Non, elle est parfois nécessaire dans certains cas comme celui de la légitime défense ou de sauver la vie à quelqu’un. Il s’agit toujours de préserver le vivant. Aussi quand Gelderloos dit qu’il a entendu certains « promoteurs de la non-violence » rejeter jusqu’à la légitimité de l’auto-défense, on aimerait bien savoir de quels promoteurs il parle et qu’il cite ses sources. Comme l’explique Sebastian Kalicha, « la défense individuelle dans des situations extrêmes est tout autre chose que d’esquisser des stratégies politiques révolutionnaires et de résistance qui n’incluent pas de violence. » Et même en cas de résistance politique, Gandhi lui-même a dit qu’entre lâcheté et violence, il fallait préférer la violence, mais que la 3ème voie, celle de la non-violence, lui était supérieure.
Il est d’ailleurs intéressant que Peter Gelderloos souligne aussi ce fait que Gandhi comme Martin Luther King auraient soutenu une lutte armée plutôt qu’aucune lutte, tout en sapant, autant que faire ce peu, les fruits obtenus par la non-violence de leurs combats respectifs. Il va même jusqu’à suggérer que Martin Luther King n’aurait été qu’une sorte de porte-étendard des non-violents blancs pour se dédouaner, en quelque sorte, de leur racisme. C’est d’ailleurs le titre d’un de ses chapitres : « la non-violence est raciste ». Malheureusement, Gelderloos fait ce qu’il reproche aux non-violents de faire : « il ne reconnaît pas l’autonomie d’activistes de couleur qui choisissent consciemment d’utiliser des tactiques non-violentes. « (Sebastian Kalicha) Si la figure de Martin Luther King a malheureusement été érigée en une sorte de statue intouchable et bienveillante, cela est surtout confortable pour la bourgeoisie qui le prive ainsi de son pouvoir de subversion, pas parce que les non- violents blancs réécrivent l’histoire, mais parce que les dominants blancs réécrivent l’histoire, et celle de la non-violence ne fait pas exception – j’y reviendrai en conclusion. Et ce n’est pas anodin de constater que Martin Luther King a été assassiné justement au moment où il a commencé à faire peur au pouvoir capitaliste, comme le montre l’historienne Sylvie Laurent, autrice du livre Martin Luther King. Une biographie intellectuelle et politique (Seuil, 2015).
Pour donner un autre aperçu de l’aspect fallacieux de l’argumentaire de Peter Gelderloos, prenons l’exemple de la libération de l’Inde. Dans son essai « Qui a peur de Gandhi » – toujours dans l’ouvrage Une critique anarchiste de la justification de la violence – N.O Fear montre l’omission de faits historiques et la mauvaise foi de Gelderloos pour servir la thèse de son chapitre « La non-violence est inefficace ». Par exemple, concernant le départ des britanniques d’Inde, ce dernier met en avant la figure d’un certain Subhas Chandra Bose, qu’il présente comme « un célèbre indépendantiste indien, qui prônait la lutte armée » et qui « a été élu deux fois président du Congrès National Indien en 1938 et 1939″. » Outre le fait que, comme le rappelle N.O Fear, Bose a été élu justement parce qu’il s’était aligné sur la manière dont le congrès national concevait la lutte non-violente et la désobéissance depuis 1920″, Gelderloos omet de parler des collaborations de Bose qui pour mener à bien sa lutte armée compta d’abord sur le soutien des nazis puis sur celui des fascistes japonais. Et toutes les tentatives d’invasion de l’Inde par Bose et l’INA – l’Indian National Army – furent des échecs. Enfin, Gelderloss ose invoquer une forme de contrainte armée, celle de la Palestine, supposant que cela aurait affaibli l’empire Britannique et qu’ « il est tout à fait probable » que cela ait « influencé la décision des Britanniques d’abandonner leur administration coloniale », l’Inde. Voilà la réponse de N.O Fear : Gelderloos « fait là un lien arbitraire entre deux régions du monde très différentes : la petite colonie de la Palestine » et l’Inde, vue comme « le joyau de l’empire britannique » et » les britanniques ne risquaient pas d’avoir peur de la lutte armée après avoir vaincu militairement durant cinq ans dans différents pays du monde. » Alors pour quelle raison les anglais ont-ils quitté l’Inde? « Il s’agit d’une forme de force jamais prise en considération par Gelderloos qui pense que seules les armes sont une contrainte. Et c’est la contrainte économique! Les grands compagnes de masse non-violentes des Indiens, la grève et le boycott de l’importation des marchandises venant de la Grande-Bretagne ont décidé du sort de l’Inde. » En outre, pour revenir à la Palestine, n’oublions pas que, pour citer une nouvelle fois N.O Fear, « les militants arabes et juifs vont bientôt tourner les armes les uns contre les autres et entrer dans une guerre civile horrible qui ne cesse de continuer jusqu’à nos jours sans issue visible. C’est cette culture de violence dont Gelderloos ne veut rien savoir ni la regarder en face ».
C’est comme si le seul critère valable pour Gelderloos serait l’efficacité – et ses arguments pour discréditer la non-violence sur ce point sont faibles – mais surtout, qu’en est-il de l’éthique révolutionnaire?
Car, comme le dit André Bernard, « nous savons que, quand quiconque a des armes en main, une hiérarchie s’établit rapidement, et tout naturellement, entre le fort et le faible. » La violence fonctionne comme un engrenage et, suivant Sebastian Kalicha, « même s’il y a une différence entre la violence de l’oppresseur et la violence des opprimé.e.s, malgré tout, la violence est en soi un phénomène qui possède sa propre dynamique autoritaire et anti-émancipatrice, quand bien même elle se manifeste comme une contre-violence des opprimés. (…) La non-violence radicale refuse le monopole de la violence de l’Etat bien davantage et de façon plus fondamentale encore que ne peut le faire toute violence révolutionnaire, parce qu’elle s’attaque à la racine même du problème de la domination et de la violence. (…) Gelderloos se refuse alors à voir quelque chose de fondamental : le fait que la non-violence délégitime non seulement les relations de domination (…) mais aussi qu’elle est une forme de résistance à ces dominations ».
Enfin, il semble que Gelderloos omette un point important, l’appui que peut donner ou non à une lutte l’opinion publique. C’est ainsi que la destruction du Mac Donald le 1er mai 2018 par les Black Blocs n’eut pas du tout le même effet que celle du MacDo de Millau en 1999. Dans le 1er cas, cela bloqua totalement la manifestation et permit à la presse d’en faire ses choux gras. Je vous renvoie au texte publié le 4 mai 2018 sur Info-luttes Une critique anti-autoritaire du black bloc qui explique l’erreur stratégique d’une telle casse. Dans le 2nd cas, l’action eut un franc succès auprès des français. Or, pour Peter Gelderloos, bien qu’il écrive qu’il est dangereux « d’adopter des tactiques que personne ne comprend et encore moins soutient », il va cependant jusqu’à justifier les attentats islamistes de Madrid en 2004, en expliquant que ce seraient ces attentats qui auraient provoqué le retrait espagnol de la guerre en Irak. Or ce n’est pas la peur qui permit aux espagnols de se positionner mais bien celles et ceux que Gelderloos traite de « moutons » (sic!), à savoir les millions de citoyens et citoyennes qui ont défilé en 2003 contre la guerre et qu’il fustige. Ce sont eux et elles qui ont fait accéder au pouvoir le parti socialiste et qui ont fait pression sur lui pour qu’il tienne sa promesse de retirer ses troupes. Et quand bien même ces attentats auraient pesé dans la balance, est-ce à dire que ces victimes étaient justifiées? En vérité, les attentats sont souvent plutôt un bon motif pour entrer en guerre, comme on a pu le voir avec le 11 septembre qui précéda l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan par les troupes américaines.
J’en arrive à l’idée directrice de cet article.
Non seulement je ne crois pas que la non-violence protège l’Etat, mais je pense au contraire que c’est la violence qui est la meilleure pour renforcer et servir l’Etat.
On pourrait par exemple se demander quelles raisons ont pu pousser les activistes révolutionnaires de l’ETA, des FARC, de l’IRA à abandonner la lutte armée…Txetx Etcheverry, militant basque et écologiste en parle très bien lors d’une rencontre provoquée par l’association Non-Violence XXI à regarder sur youtube.
C’est pourquoi je dirais, à la suite du libertaire Barthélémy de Ligt : « Plus il y a de violence, moins il y a de révolution ». Et il semblerait que cela ait encore une fois été le cas avec les gilets jaunes, si l’on en croit le témoignage de Priscillia Ludosky dans l’épisode 11 du podcast à propos de l’instrumentalisation de la violence des black blocs par les médias. En outre, l’ouvrage universitaire d’Erica Chenoweth et Maria Stephan, Why civil resistance works (publiée il y a 10 ans et qui sera enfin traduit cette année en français) montre à partir de 323 études de cas qu’en général la non-violence obtient de meilleurs résultats que la violence. Néanmoins, je souhaite rendre justice sur ce point à Peter Gelderloos, la non-violence n’est pas non plus la panacée pour réussir une révolution et de moins en moins d’ailleurs. En effet, poursuivant ses recherches – voir l’article du CENAC sur ce sujet -, Erica Chenoweth a concédé qu’entre 2010 et 2018, le nombre de campagnes non-violentes a augmenté mais leur réussite grandement diminué, passant de 65% en 2000 à 30% en 2018. Si elles font toujours mieux que la lutte armée – qui obtiendrait 10 à 20% de réussite -, la chercheuse constate une moindre efficacité. Mais faut-il imputer cela à une position dogmatique de la non-violence ou à son présumé échec? Au contraire, Erica Chenoweth souligne qu’ il y a eu justement davantage de soulèvements utilisant la « diversité des tactiques » et que ceux-ci aboutissent moins, statistiquement parlant. Ensuite, elle montre qu’il y a eu une diminution du nombre de personnes ayant participé à ces soulèvements – environ 1% de la population contre 3% dans les années 90 -, que les méthodes non-violentes ont été moins diversifiées et enfin que l’activisme numérique est surestimé, voire qu’il nuit à une réflexion approfondie sur la stratégie. Et si je peux ajouter une opinion personnelle, je pense aussi que la classe bourgeoise néolibérale a su renforcer son pouvoir dans chaque état, qu’elle possède encore davantage la presse et qu’il devient très complexe d’établir un rapport de force qui puisse la faire plier, et ce, quel que soit le mode d’action.
S’il y a bien un point sur lequel je rejoins Peter Gelderloos, c’est que le pouvoir en place sait très bien remanier l’histoire mais aussi les mots. Et c’est bien en cela que je m’étonne à la lecture de son livre : il adopte sciemment la vision, ou plutôt le carcan dans lequel l’état capitaliste veut enfermer la non-violence. C’est une lecture bourgeoise de la non-violence qu’il fait en assimilant durant tout son livre la non-violence révolutionnaire au « pacifisme » confortable du bourgeois. Le pouvoir verrait en la « non-violence » la seule lutte acceptable et il ne se prive jamais de condamner toute sorte de violence afin de pouvoir condamner l’ensemble d’une lutte. Par là-même, le pouvoir élude à dessein toute la puissance révolutionnaire de la non-violence, toutes les tactiques illégales qu’elle utilise et qu’il assimile immédiatement à de la violence, s’accordant ainsi avec Peter Gelderloos pour rendre très floue la définition de la violence, toute désobéissance à une loi étant assimilée comme telle.
Le moindre prétexte pour renforcer sa répression est bon pour l’Etat et en cela, la violence le sert. La violence le sert parce qu’elle permet de détourner le regard sur la violence structurelle dont les institutions se rendent coupables. La violence le sert parce qu’elle exerce un pouvoir de fascination et de répulsion très utile pour manipuler les masses de la société du spectacle. La violence le sert parce qu’elle fait peur à l’opinion publique et que la répression en retour fait peur à celles et ceux qui auraient des velléités de se révolter. La violence le sert parce qu’elle est son domaine et qu’il en comprend le langage.
L’Etat ne comprend rien à la non-violence, aussi essaie-t-il de la circonscrire, aussi travestit-il les mots et les dominants parlent-ils de paix pour se couvrir et rejeter leurs propres fautes sur les victimes de leurs oppressions. Les technocrates au pouvoir ont su vider de son sens tant de mots, inventer tant d’expressions pour ne surtout pas décrire la réalité. La non-violence n’échappe pas à l’avènement de cette novlangue. En acceptant de se plier à ces grossiers raccourcis et en les imputant aux révolutionnaires, on se demande pour qui roule Gelderloos! D’ailleurs, faut-il rappeler que dans son pays, c’est bien la fin des armes qui constituerait une libération, car comme le dit N.O Fear : avec le parti des armes, le NRA, « la revendication de la violence et la lutte armée est bien blanche et bourgeoise à la fois. Le vrai mouvement révolutionnaire commence en fait avec le mouvement des élèves et étudiant.e.s contre les tueries et leur résistance non-violente récente contre le NRA. Ils s’opposent aux armes et c’est cela leur vraie libération. Gelderloos, à l’inverse, reste complètement dans la norme. »
C’est pourquoi, à la lecture de Comment la non-violence protège l’Etat, je suis plus que sceptique. Il me semble absurde de prôner la violence et d’appeler en même temps à l’unité révolutionnaire par une sorte de cohabitation entre des tactiques qui seraient violentes d’un côté et non-violentes de l’autre, ce qu’on a coutume d’appeler la « diversité des tactiques ». Mais ce terme même de diversité est inadéquat puisque ce sont deux conceptions qui s’excluent mutuellement.
La diversité des tactiques, ce mythe qui permet aux violents d’imposer leur stratégie et d’anéantir la stratégie non-violente.
La lutte violente veut imposer sa volonté par la peur, par la soumission, par le meurtre comme dernier recours. Une minorité de militants violents peuvent saboter toute la stratégie d’une action non-violente en posant une bombe ou en attaquant des policiers par exemple. L’inverse n’est pas vrai. Imaginons un groupe de révolutionnaires non-violents qui viendrait faire un sit-in au milieu de la lutte armée d’un groupe violent: il n’aurait aucun poids… La diversité des tactiques n’est rien d’autre que l’imposition de la stratégie guerrière à toute forme de lutte et la destruction de l’ensemble de la stratégie non-violente. Dès lors qu’un acte de violence est commis au sein d’un mouvement non-violent, celui-ci cesse de l’être. Comment invoquer l’unité quand non-violents et violents s’opposent par l’idéologie et par la pratique?
L’entraide est fondamentalement non-violente.
L’entraide, dont parlait déjà Pierre Kropotkine en 1902 et plus récemment Pablo Servigne, est fondamentalement non-violente, et elle me semble, avec la prise de conscience de notre interdépendance, de notre lien indéfectible à la nature pour survivre, une meilleure voie à suivre, alliée à des actions de désobéissance civile, de lobbying citoyen et tout ce qui pourra permettre à notre système délétère, individualiste et violent de s’effondrer pour voir advenir une société et une culture non-violentes.
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Bonjour Célia et merci pour cet article qui remet bien les choses en place.
La violence, non seulement fait le jeu de l’Etat, mais détruit également le mouvement social, sujet que j’ai traité dans cet article que je me permets de signaler : https://alainrefalo.blog/2020/12/07/la-violence-detruit-le-mouvement-social/
Il serait temps de tirer un bilan objectif du mouvement des gilets jaunes afin qu’une fois le couvercle du COVID levé, d’autres explosions sociales incontrôlées et inefficaces ne fassent encore le jeu de l’Etat…
Merci pour la justesse de ces lignes.
Bravo Célia, je te remercie pour ce texte clair, sans ambiguïté et qui vient à point nommé nourrir ma réflexion, alors que je viens de finir le bouquin de Andreas Malm « comment saboter un pipeline ». Celui-ci dresse un bilan sombre et un peu désespéré de la totale inefficacité, selon lui, des luttes non violentes dans la lutte contre le réchauffement climatique qu’il a menées depuis des dizaines d’années montrant même qu’alors qu’alors que le constat semble de plus en plus partagé, les investissements dans les énergies carbonnées continuent de grossir de façon insensée. Devant l’urgence qu’il diagnostique et de ses dommages graves et irréversibles sur notre planète et de son échec à changer le système à temps (en particulier le système extractiviste) Il suggère lui aussi de changer de tactique et d’accepter de passer à une certaine radicalité. C’est à dire à une certaine violence, Mais une violence contre les biens. Il cite un auteur William Smith (que je n’ai pas encore lu) chercheur sur la désobeissance civile et la violence politique qui établit un corpus de critères pour légitimer la possibilité de passer à des actes de sabotage ou de dégradation des biens. Il est clair qu’en ces temps d’inaction forcée par le COVID la tentation de la violence politique augmente chez beaucoup devant la surdité, l’incompétence et la corruption des pouvoirs institués. Cette tentation peut devenir un obstacle à surmonter pour la lutte non violente. Et je me demande si une réflexion sur la non violence et le respect ou non du sacro-saint droit à la propriété et de ses atteintes possibles ou pas ne serait pas intéressant. Ce qui me fait penser à tout cela est qu’il est certain que le pouvoir français à travers la loi sur « la sécurité globale » semble se préparer à une recrudescence probable des atteintes à ce droit. Par exemple, Sur le thème de la défense de la propriété agricole et bien sur de sa version la plus industrielle et d’un possible terrorisme agricole une cellule, la cellule « Demeter » a été créée. La comparaison que tu fais à cet égard entre le saccage du Mac Do pendant les manifestations des GJ et son démontage à Millau est à cet égard éclairante. Bref merci à toi et mille bises et force et courage
Merci pour ce message fort intéressant, Philippe. Je suis moi aussi partisane d’une certaine radicalité et les faucheurs d’OGM sont pour moi un exemple de lutte non-violente. Je n’ai pas lu l’ouvrage d’Andreas Malm et donc ne peux rien en dire malheureusement. Selon moi, toute stratégie doit se réfléchir collectivement car seule l’union fera changer la structure.
Merci Célia pour ce texte clair et bien argumenté; Les contempteurs de la non-violence sont prompts à chercher à démontrer une insuffisance, voire une innefficacté de la non-violence, mais ils se taisent quand il s’agirait de démontrer une efficacité de la violence! Un sabotage peut-il être non-violent? C’est un vieux débat qui est soulevé depuis que la non-violence est utilisée et sans réponse définitive. La façon dont le sabotage contre un bien est réalisé et surtout perçu par le public est déterminante comme tu le montres fort bien avec le cas des Mac’Do.
Continue, s’il te plait!
Merci à toi de m’avoir conseillé de lire « une critique anarchiste de la justification de la violence ».
Très bon argumentaire. Merci Célia. La non-violence est révolutionnaire dans le sens où elle propose et veut un changement complet des rapports de domination multiples. Elle dépasse la « lutte contre le capitalisme » qui met en avant la lutte des classes, elle intègre les autres rapports de domination historiques (liés au genre, aux colonies, à l’exploitation animale et des ressources naturelles..). La non-violence nous invite à changer aujourd’hui nos pratiques pour construire le monde de demain. L’utilisation de la violence comme outil de changement est un non-sens révolutionnaire.
Je complèterai que la « convergence des luttes » prôné par certain est une manière de vouloir renverser le pouvoir en place, mais pas de changer vraiment le système politique et économique. Je préfère la coordination des différentes luttes qui sont menées par les mouvements sociaux divers et variés, qui doivent et peuvent obtenir des victoires, sans attendre le « grand soir » révolutionnaire.
Merci Serge pour cette réponse qui apporte des éléments de réflexion.
Bonjour Célia,
Merci pour votre article très intéressant qui m’amène à quelques réflexions :). De caractère pacifiste, sûrement du fait de ma position dans la société, je me reconnais davantage dans les tactiques de luttes non-violentes. Néanmoins je suis aussi sensible aux critiques constructives de la non-violence en tant que dogme et je légitime volontiers l’action violente au regard du constat d’effondrement bio-climatique dans un contexte d’urgence absolue. Je crois en la diversité des tactiques justement car ce sont des tactiques et qu’une tactique est un moyen au service d’un objectif et non une idéologie.
Je ne crois pas en la toute puissance des tactiques violentes, ni des tactiques non-violentes, et vous non-plus comme vous avez la lucidité de l’avouer dans l’article ci-dessus. Et d’ailleurs, je crois que nous avons tous les deux raison puisqu’aucunes de ces tactiques ne peut prétendre se suffire à elle-même. Mais alors pourquoi la « diversité des tactiques » ne pourrait pas être un début de solution ? Pourquoi se priver d’actions non-violentes ou d’actions violentes qui pourraient être efficaces ? Si les stratégies non-violentes ne sont pas la panacée, que les tactiques violentes sont à proscrire et qu’aucune convergence n’est possible, comment allons nous gagner cette lutte ? Est-ce que le jugement moral ou philosophique que nous portons sur la nature des actions doit prévaloir sur leur efficacité à un instant T ?
Vous avez tendance à dire que oui… Mais l’utilisation de tactiques violentes en tant que moyen d’action pour parvenir à éradiquer une civilisation mortifère ne veut pas nécessairement dire que le modèle de société qui émergera de la lutte sera impacté par la nature violente des moyens mis en œuvre pour la mener. Je crois que c’est un amalgame et qu’il dessert une stratégie basée sur la diversité des tactiques…
En effet, si l’on considère la violence et la non-violence en termes de dogmes ou de morales alors oui, ce sont deux idées profondément incompatibles ! Mais si au contraire, nous les considérons comme deux outils importants et indissociables de la lutte pouvant être utilisés à des moments distincts et dans des contextes différents dans le seul but de répondre à un objectif commun alors il n’y a aucune raison de ne pas croire en la diversité des tactiques.
Je crois que la diversité des tactiques subit de plein fouet la guerre idéologique et morale entre « violence » et « non-violence », concepts indépendants de toute réalité matérielle. Une analyse radicale des moyens d’actions à disposition des activistes nous permettrait de choisir plus librement la tactique appropriée en fonction de la situation, indépendamment de l’idéologie dominante qui se cache derrière la nature de l’action. D’autant plus qu’il n’y pas de frontière consensuellement établie entre le concept de violence et de non-violence. Nous sommes davantage face à un continuum d’actions qu’une « diversité des tactiques » aurait tout intérêt à coordonner et orienter dans une même direction !
De la même façon, ce que nous combattons est, pour reprendre un sujet de votre article, le pouvoir de domination de l’État et non la violence matérielle qu’exerce l’État à travers sa police et la répression. La violence n’est qu’un outil de l’État au service de sa domination mais s’il est redoutable il n’est pas le seul dont dispose l’État ! Et la violence des opprimés n’est pas de la même nature que celle du pouvoir, je ne crois pas que L’État comprenne la langue des opprimés qu’importe les moyens de lutte utilisés… L’utilisation par l’ennemi d’un des moyens de lutte ne doit pas empêcher les opprimés de l’utiliser également. Au contraire, c’est aussi le rôle d’une diversité des tactiques affichée et solidaire, de changer la perception qu’a le public et la signification morale d’un concept comme la violence selon le contexte de son utilisation. Ce serait une forme d’asservissement et de capitulation que de laisser au dominant le monopole de la violence… Pouvons nous encore, en 2021, à l’heure où 200 espèces animales et végétales disparaissent chaque jour, nous payer le luxe de ne pas utiliser des tactiques « violentes » ?
J’aurais donc tendance à dire OUI à une diversité des tactiques (dont l’utilisation pratique ne doit pas se confondre avec une quelconque connotation dogmatique ! )
Bonjour Théo, merci pour votre message même si je ne sais pas trop quoi vous répondre car j’ai apporté beaucoup d’arguments pour montrer l’illégitimité et même la supercherie que représente une diversité des tactiques et je ne lis pas vraiment de contre-arguments aux miens dans votre exposé… Comme je le dis, ne serait-ce que d’un point de vue de l’efficacité, il a été prouvé que la méthode violente obtient moins de résultats qu’une tactique basée sur un spectre d’actions non-violentes, donc c’est déjà une excellente raison de se passer de la violence. D’autre part, d’un point de vue logique, je montre que la diversité des tactiques est un leurre puisque dès lors qu’on utilise de la violence, il n’y a plus de non-violence. Aucune solidarité n’est possible comme vous l’entendez quand l’une des tactiques détruit l’autre… Enfin d’un point de vue éthique, la domination et la violence étant consubstantielles, critiquer l’une en tolérant voire légitimant l’autre est un non-sens. Oui la violence des opprimés n’est pas à mettre sur le même plan que la violence institutionnelle, c’est vrai, mais il n’en demeure pas moins qu’elle aboutit plus rarement à une victoire que la non-violence, qu’elle génère plus de morts, et que s’ensuit souvent un régime autoritaire, donc la reproduction de la domination. Et je pense au contraire de vous, que laisser au dominant le monopole de la violence, c’est déjà trouver une solution à la domination, c’est s’extraire de ces rapports de domination et montrer une nouvelle voie, une véritable voie de la solidarité et du respect. Que des groupes souhaitent utiliser la lutte armée, grand bien leur fasse, mais qu’ils ne viennent pas tenter de l’imposer aux groupes non-violents en parlant de diversité et d’inefficacité de la non-violence, voilà aussi l’objet de cet article. Il est d’ailleurs intéressant, psychologiquement parlant, que les tenants de la violence, souhaitent à ce point légitimer leur action et dénigrer la non-violence. Il me semble que la sagesse, dans une culture non-violente, serait plutôt de dire : » nous n’avons pas trouvé pour l’instant d’autre solution que la violence, mais nous allons tenter de la circonscrire au maximum et d’en sortir le plus tôt possible car nous savons que c’est un engrenage et qu’elle mène à toute sorte d’abus de pouvoir… » Je vous conseille également d’écouter l’épisode avec Jon Palais ou le dernier avec Anton Deums car ils parlent très bien de cette urgence écologique et de cette tentation de la violence.
Bonjour Célia,
Merci pour votre réponse, ça l’était déjà avant mais c’est encore très clair ici. Mon point n’était absolument pas d’opposer violence et non-violence car c’est justement ce que je vous reproche. Et quand vous dites « Il est d’ailleurs intéressant, psychologiquement parlant, que les tenants de la violence, souhaitent à ce point légitimer leur action et dénigrer la non-violence. » et « que des groupes souhaitent utiliser la lutte armée, grand bien leur fasse, mais qu’ils ne viennent pas tenter de l’imposer aux groupes non-violents en parlant de diversité et d’inefficacité de la non-violence » je suis absolument d’accord avec vous et vous reproche de procéder de la même façon à l’égard des tactiques violentes en érigeant la non-violence au rang de dogme.
Il est évident qu’actions violentes et non-violentes ne peuvent co-exister en un même lieu au même moment, et faire ce raccourci c’est ne pas comprendre l’application réelle et pragmatique d’une diversité des tactiques efficace au service d’un objectif commun. Et de ce point de vue, ce n’est pas vrai que les tactiques violentes détruisent les tactiques non-violentes.
Les grandes luttes ont pu être menées grâce à une complémentarité des tactiques, violentes et non-violentes, les comparer indépendamment les unes des autres est un non-sens.
Il serait intellectuellement malhonnête de ne pas voir l’importance de John Brown (que le non-violent H.D. Thoreau a soutenu de manière inconditionnelle) dans la lutte abolitionniste, ou des pétroleuses dans le combat pour le droit de vote des femmes en Angleterre, ou du Wheather Underground dans les mouvements pour la paix au Vietnam, ou encore de Malcolm X que Martin Luther King a su largement utiliser en la faveur du mouvement des droits civiques.
La diversité des tactiques n’est pas un choix idéologique que nous devons faire ou pas, c’est une nécessité pour celui ou celle qui recherche l’efficacité.
D’un point de vue éthique, je pense qu’utiliser la violence est acceptable pour éviter une bien pire violence si, et seulement si, l’action est juste et stratégique dans le contexte de la lutte. Dans ce cas, ne pas agir c’est se rendre complice d’une violence bien pire que celle qu’on a souhaité éviter au nom d’une morale supérieure « non-violente », ce qui est aussi un non-sens… D’ailleurs, l’action de tuer Hitler en 1940 est-elle non-violente ?
Pour moi, la sagesse s’illustre par les propos de Mandela qui, après avoir acté les limites des tactiques uniquement non-violentes, conscient qu’ « elle ne renverserait jamais une minorité blanche prête à maintenir son pouvoir à n’importe quel prix », dit « Pour moi, la non-violence n’était pas un principe moral mais une stratégie. Il n’y a aucune bonté morale à utiliser une arme inefficace »
Dommage que la question de la diversité des tactiques n’ait pas été directement posée à Anton dont je connais bien les propos… Comme Anton, comme la grande majorité de l’humanité d’abord mue par des réflexes d’entraides (comme vous l’avez rappelé dans un autre article) je prône l’amour, la solidarité, le partage et la paix en tant que valeurs morales mais ici nous parlons de tactiques, de luttes, de résistance face à l’ennemi civilisationnel et dans ce contexte où la défaite est impossible, la diversité des tactiques n’est pas une option ! 🙂
Bonjour Théo et bonjour Célia,
Je me permets de m’immiscer dans cet échange intéressant quelques instants. Il est un peu tard et je ne suis pas sur d’avoir les idées claires mais voilà une contribution à prendre comme elle vient donc.
Je crois avant tout qu’il n’est pas question de dogme mais de morale et d’éthique et que le prisme de l’efficacité est bien plus complexe, notamment dans une perspective de long terme, que ce qu’il n’y parait.
A ce titre je crois pour ma part que la fin ne justifie pas les moyens car nous n’avons pas de prise sur la fin, nous ne la contrôlons tout simplement pas. La seule prise que nous avons c’est ce que nous décidons de faire à chaque instant, les moyens que nous décidons d’employer donc. Je dirais du coup que la fin EST dans les moyens, car c’est par les moyens que nous préfigurons la société que nous voulons voir advenir. C’est en refusant à chaque instant de perpétuer un rapport de domination ou d’en accepter un que ce construit un autre avenir. Et cela pas seulement pour soi, mais dans notre action sur la société, dans le refus de la coopération et dans l’action. Car ce qui me semble moralement impensable serait de rester passif face au terrible constat que nous avons devant nous.
Alors pour la diversité des tactiques de quoi parle-t-on ?
Je ne crois pas pour ma part qu’une lutte (au sens de tous les groupes en lutte) parfaitement non violente existe ou peut-être même existera. Je vois aussi quels sont les rapports (majoritairement) conflictuels qui se créent (aujourd’hui comme historiquement) entre les groupes aux tactiques diverses (bien qu’iels existent rare sont celleux qui discutent vraiment entre groupes). Dans tout ça j’essaie pour ma part de me relier aux intentions de chacun.e. D’écouter ce qu’il y a dans le fond. D’apprendre et de comprendre. Mais si je peux me relier aux autres, à leur aspiration, à leur peur, à leur colère, et à ce que cela peut provoquer, je n’en ai pas moins du mal à défendre la violence envers d’autres.
Je n’hésiterais pourtant pas à m’interposer physiquement entre des individus pour faire cesser une violence plus grande. Mais quand il s’agit de politique et de changement de société, je ne crois pas que la violence envers les individus serve vraiment notre cause, au contraire. Je vois les germe de ce que je combats, je vois la destruction de notre propre humanité, je vois le cercle vicieux qui s’enclenche.
Tout simplement, je crois que je ne ferais jamais changer quelqu’un.e en lui tapant dessus. Je peux le contraindre par la force ou la peur de la force certes, mais le ressentiment qui s’en dégagera resurgira dès qu’il trouvera la place.
En revanche je ne peux que partager le constat que nous ne sommes honnêtement aujourd’hui pas du tout à la hauteur de l’enjeu. Mais je crois que nous avons encore beaucoup beaucoup de marge dans le niveau de notre résistance et que ce ne sont pas les moyens non violent qui me semble manquer mais le courage. Le courage de se lever, de dire stop, de s’interposer.
Je n’ai aucun problème morale par exemple avec le sabotage quand celui-ci ne porte pas atteinte à la vie d’autrui. Pourtant nous sommes extrêmement peu nombreux.euses aujourd’hui à l’assumer ouvertement et encore moins à le pratiquer.
Face à l’extinction du vivant (voir de son extermination en règle), il me semble complètement juste (et justifiable donc) d’engager une campagne massive de désarmement des infrastructures mortifères (terme vu la situation que je préfère à sabotage). Et ce tout en respectant une stratégie et une posture non-violente.
Sur un autre registre, nous sortons très peu malgré les appels à convergence de nos bulles. Bulles exacerbées d’ailleurs par le numérique. Mais comment se relier aux autres si nous ne faisons pas exister d’espace de dialogue aujourd’hui quasi absent de la société ? Comment se comprendre ? Comment construire autre chose ensemble ?
Je pense que nous avons besoin d’être réellement et enfin radical. De revenir à la racine de nos maux. D’enfin prendre d’une part le temps de discuter, d’assumer nos conflits et notre vulnérabilité, et d’autre part de se lever pour que cesse les destructions.
Nous nous battons pour la vie elle même. Nous nous battons pour l’amour. Et l’amour ne peut se construire dans la violence. L’amour se construit dans l’écoute, et même dans l’écoute de la violence et de ce qu’il y a derrière. N’ayons pas peur d’aller au fond des choses, si nous ne le faisons pas maintenant, nous aurons perdu d’avance. N’ayons pas peur d’aimer les autres, à la fin quoi qu’il en soit, nous mourrons tous.
Avec amour et rage,
Anton
Bonjour Anton,
Bienvenu dans la conversation et merci pour ta contribution que j’ai beaucoup aimée 🙂
J’ai très envie de répondre à ton texte pour préciser mon point de vue et je m’excuse d’avance s’il y a des redites.
Je suis absolument d’accord avec toi quand tu parles de la complexité qu’il y a à définir l’efficacité de la lutte écologique sur le long terme et aussi quand tu dis « mais quand il s’agit de politique et de changement de société, je ne crois pas que la violence envers les individus serve vraiment notre cause, au contraire. ».
Sauf qu’il ne s’agit pas de politique ou de changement de société ici, il s’agit de stopper le plus rapidement possible la machine infernale qui tue le vivant.
En fait, pour moi il y a 2 choses : la résistance face au système dominant et la construction du monde de demain.
La première est un impératif moral qui nécessite d’avoir recours, maintenant, à toutes les tactiques à notre disposition, indépendamment de leur caractère violent ou non-violent du moment qu’elles s’inscrivent dans une stratégie efficace et juste. Dans ce cas, l’efficacité est facilement mesurable : Les espèces continuent-elles de disparaître ? La concentration en CO2 continue-t-elle de croître ? Etc…
Quant à la construction d’alternatives, puisqu’elles sont destinées à nous survivre, il semble alors important qu’elles portent les valeurs d’un monde désirable et je crois que l’on partage ces mêmes valeurs. Dans ce cadre, les moyens mis en œuvre pour faire émerger ces alternatives sont importants et il est crucial d’y attacher énormément de soin, je te rejoins beaucoup là dessus.
Si en parallèle, nous avons par exemple pour objectif de mettre fin à l’extractivisme alors il semble illusoire de penser que nous pourrions y arriver sans avoir recours à des actions dites « violentes ». Je le souhaite de tout mon cœur mais ne pas considérer que les pouvoirs dominants auront recours à la répression, à la torture, aux arrestations, aux viols et aux meurtres (c’est ce que les dominants ont toujours fait et c’est ce qu’ils font actuellement en Amérique latine par exemple mais aussi en Inde, en Afrique, etc.) et espérer que de simples actions de sabotage suffiront ne me semble pas très réaliste. Nous aurons malheureusement mais très probablement besoin d’avoir recours à la légitime défense… Pas par penchant pour la violence ni par dogmatisme mais simplement parce que la civilisation a créé les conditions matérielles de la riposte, des conditions d’existence tellement insoutenables que la riposte s’impose à nous comme un choix stratégique privilégié et légitime pour éviter la perpétuation de violences encore supérieures.
Comme c’est un blog sur la non-violence je parle évidemment beaucoup de violence bien qu’à titre personnel elle me répulse :). Je ne crois pas être capable d’en user de façon préméditée bien que je puisse largement la justifier si elle est utilisée à dessein par mes camarades ! Mais il n’est pas question ici de ce que je ressens mais plutôt de stratégie au service d’un objectif global qui nous dépasse individuellement.
Je condamne par ailleurs la violence dogmatique ou la violence en tant que fin en soi. Celle-ci n’est souvent ni juste ni stratégique et dessert la cause. Mais la légitime défense même violente comme moyen d’action juste et stratégique doit être considérée le plus sérieusement du monde par les militant.e.s.
D’ailleurs, si le sabotage ne suffit pas… Doit-on intégrer dans notre morale des actions plus violentes ou bien doit-on se résigner à abandonner la lutte au titre que notre morale ne nous le permet pas ? Pour ma part, au regard du constat et des enjeux, je suis pour élargir la fenêtre d’Overton du « moralement acceptable » :).
Je crois que nous avons besoin d’une solidarité inconditionnelle entre tous les militant.e.s qui pensent que cette civilisation doit être anéantie et qui souhaitent de tout leur être l’avènement d’un monde soutenable, juste et harmonieux.
Le délitement politique du monde nous offre des milliers d’occasion de pratiquer une désobéissance civile plus radicale, nous devons encourager tout.e.s les militant.e.s qui se reconnaissent dans ce mode d’action. La destruction du monde par la classe dominantes nous offre des milliers d’occasion de riposter, d’user de notre devoir moral de légitime défense, nous devons encourager tout.e.s les militant.e.s qui se reconnaissent dans ce mode d’action. L’absence de vision d’une civilisation mortifère nous offre des milliers d’occasion d’inventer, de tester, de faire autrement, nous devons encourager tout.e.s les militant.e.s qui se reconnaissent dans ce mode d’action.
Je crois comme toi que nous avons grandement besoin de rétablir un dialogue, surtout entre les mouvements militants. Et pour moi ça commence par accepter les moyens d’actions de l’autre en tant que moyen d’action différent mais nécessaire à une lutte stratégique, dans un esprit de complémentarité des tactiques, en vue de répondre à un objectif commun : Sauver la planète par amour pour le vivant.
Aujourd’hui, le monde se meurt et les militant.e.s se battent entre elleux pour le mode d’action qui leur semble supérieur (souvent polarisé entre violent et non-violent) et non pas pour un objectif commun… C’est pathétique… Nous avons besoin d’une culture de résistance diversifiée et inconditionnellement solidaire qui cultive en son sein l’amour pour le vivant et la rage contre le système qui le détruit, certainement pas d’un mode d’action hégémonique.
Quand tu parles d’intention, ou de se relier aux émotions agissantes des un.e.s et des autres, ça me fait penser à ce petit extrait de Derrick Jensen dans son introduction des tomes 1 et 2 de DGR. L’amour et l’action de légitime défense / riposte ne sont pas incompatibles, bien au contraire…
« Nous avons aussi besoin de courage, dont la racine étymologique vient du mot « cœur »: nous avons besoin de tout le courage dont est capable le cœur humain, forgé à la fois en arme et en bouclier, pour défendre ce qu’il reste de la planète. Et le cœur du courage, bien sûr, c’est l’amour.
Donc, bien qu’il traite de la riposte, ce livre parle en fin de compte d’amour. Les oiseaux chanteurs et les saumons ont besoin de votre cœur, aussi las soit-il, car même le cœur brisé est fait d’amour. Ils ont besoin de votre cœur parce qu’ils sont précipités dans cette longue nuit qu’est l’extinction. Cette résistance, nous allons devoir la construire à partir de tout ce que nous pourrons trouver : des murmures et des prières, des histoires et des rêves, à partir de nos mots et de nos actes les plus braves. Ce sera difficile et coûteux, et cela semblera impossible lors de nombreuses aubes implacables. Mais quoi qu’il en soit, nous devrons nous y atteler. Alors, rassemblez votre courage, et joignez-vous à tous les êtres vivants. Avec l’amour comme cause première, comment pourrions-nous échouer ? »
Tu parlais de t’interposer physiquement pour faire cesser une violence plus grande, je ne parle pas d’autres choses, d’ailleurs je crois que nous parlons toustes de la même chose.
Théo