Au moment où j’écris ce texte, on vient d’imposer aux enfants de 6 ans de mettre un masque à l’école. La situation sanitaire est suffisamment grave, nous dit-on, pour en arriver là. Personnellement, je ne comprends pas comment les conséquences d’une telle violence – mettre un masque sur la bouche et le nez des enfants – ne sont pas davantage questionnées, sachant que les enfants ne pourront pas utiliser le masque comme nous sommes nous-mêmes sensés le faire sans y parvenir – c’est à dire sans le toucher, sans le mettre sous le nez et en le changeant toutes les quatre heures… Mais bon, l’institution est plus forte que nous et nous sommes plus forts que les enfants, n’est-ce pas… alors pourquoi s’émouvoir de cette énième violence – dont sans doute personne ne va mourir alors que le covid tue…(1)

Les enfants, de toute façon, n’ont jamais le choix. Quoi qu’on en dise, « enfant roi »(2) ou pas, ils doivent accepter sans contestation possible les directives des adultes. Et d’après ce que j’observe en ce moment, nous sommes traités nous aussi de cette manière par les institutions. Dans cette crise sanitaire, qui pourrait dire que nous avons accès à des informations transparentes quand nous sommes abreuvés d’injonctions contradictoires à longueur de journée… Néanmoins nous devons obéir sans avoir véritablement la possibilité de comprendre pourquoi… Ce parallèle entre notre situation et celle des enfants est l’occasion pour moi aujourd’hui de m’interroger sur les fondements de la domination.

Ecoutez la version audio de cet article :

J’aime beaucoup cette citation de Dom Helder Camara :

 « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui l’a fait naître, et la troisième qui la tue. »

Ce texte montre clairement une hiérarchie entre toutes les violences en établissant que la violence qui engendre toutes les autres serait celle exercée par l’autorité de l’état qui, comme le constatait Max Weber, » détient le monopole de la violence légitime ». Elle montre ainsi que toutes les autres violences ne se valent pas et que la contre-violence, la seule qui soit réprimée et condamnée, semble bien plus compréhensible que les autres violences, même si, et c’est le propos de ce site, on peut se poser la question de son efficacité à court ou long terme et de sa logique sur le plan éthique…

Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui dans cette citation, c’est cette idée qu’il y aurait une origine à toutes les violences, une origine elle-même de nature violente, une oppression qui s’exercerait contre nous tous, citoyennes et citoyens.

D’où vient cette violence originelle?

Est-elle dans la nature de l’être humain? Vous savez toutes ces affirmations qui fondent notre culture « l’homme est un loup pour l’homme », « l’enfant est un pervers polymorphe », « il faut se méfier de son prochain » et « on n’est pas dans un monde de bisounours ».  Nous serions ainsi faits que certains dominent et d’autres sont dominé.es. Et de temps en temps, la balance se renverserait.

Ou bien, est-ce nous qui sommes responsables de cette violence première qui nous opprime en remettant notre pouvoir à des représentants qui finalement nous trahissent et font main basse sur nos institutions pour perpétuer leur autorité, leur classe, leur argent? Ou, pour reprendre le questionnement d’Henry David Thoreau, l’auteur bien connu de l’ouvrage « La désobéissance civile »: « Le citoyen doit-il un seul instant, dans quelque mesure que ce soit, abandonner sa conscience au législateur? Pourquoi, alors, chacun aurait-il une conscience? »

Mais si la violence institutionnelle est vraiment la mère de toutes les violences, qu’attendons-nous pour l’abattre?

Vous me direz,  il n’est pas si facile de s’en prendre au système étatique! Quand on voit la violence – « légitime », n’est-ce pas? – avec laquelle les anarchistes ont été persécutés au cours des siècles, et je vous renvoie à l’excellent documentaire d’Arte « Ni Dieu, ni maître – une histoire de l’Anarchisme », cela donne vraiment l’impression que la structure sociale et juridique qui nous gouverne est une entité à part entière, qui décide pour nous et sur laquelle nous n’aurions aucun pouvoir puisqu’elle détient les armes.

Cependant, certains, certaines on essayé, essayent de s’extraire, de vivre différemment, de fonder des communautés hors système. Actuellement, des femmes et des hommes fondent des éco-lieux, redonnent vie à des villages, utilisent d’autres monnaies, cherchent à retrouver leur autonomie énergétique mais aussi spirituelle, trouvent et appliquent des alternatives au modèle capitaliste défendu par notre état.

Aussi nécessaires que soient ces îlots de liberté, la violence en a-t-elle été éradiquée?

Beaucoup de celles et ceux qui témoignent de leur vécu dans ces lieux alternatifs parlent des difficultés à vivre les relations humaines comme première cause de désillusion concernant leurs beaux projets. Je vous renvoie, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, à la violence ressentie et relatée par les co-fondateurs de l’Ecole des Enfants au Hameau du Buis, Sophie Rabhi et Laurent Bouquet. (vidéo d’analyse par Isa Padovani, à partir des fondements de la CNV, est édifiante sur ce point)

Pour avoir fait partie du comité de pilotage de Colibris Paris, je peux témoigner de la difficulté à mettre en place de nouveaux modèles de gouvernance qui soient à la fois respectueux de chacun.e et efficaces. Mêler écoute et action est parfois très complexe… Combien d’associations aux principes humanistes rencontrent des soucis humains, comme on dit, des scissions parfois très violentes.

Pourquoi ne parvenons-nous pas à vivre nos beaux principes?

Non pas parce que c’est dans la nature de l’homme – les neurosciences ont montré que l’empathie faisaient partie de nos capacités innées – mais bien parce que c’est dans notre culture.

Et il semble que nous nous acharnions à occulter une composante essentielle de cette culture… une grande ignorée dans cette équation, une cause des causes peut-être, un « chaînon manquant » comme le dit Emmanuelle Araujo dans un article inspirant que je vous citerai plus loin. Cette inconnue au bataillon qu’on envisage si rarement comme l’origine de la mauvaise santé et de la violence de notre monde, elle est pourtant la base de toute notre vie. Nous nous construisons grâce à elle ou peut-être faudrait -il dire, nous nous détruisons à cause d’elle : Elle, notre enfance.

La façon dont nous traitons nos enfants peut changer la face du monde.

 

Réfléchissons un peu. Selon la Fondation pour l’enfance, 85% des parents utilisent la violence pour éduquer leurs enfants. 85% des parents donnent des fessées, crient, font du chantage, humilient, sous prétexte d’éducation. Les enfants sont la population la plus dominée de la planète, ils dépendent entièrement de leurs parents ou des adultes qui sont responsables d’eux. Ils sont donc en position complète de faiblesse. Et nous voudrions que ces mêmes enfants qui ont donc subi pour la plupart une autorité exercée sur eux sans partage, nous voudrions qu’une fois adultes, ils soient libres, autonomes, doués d’un esprit critique, capables de s’affirmer, etc. Mais quand on apprend à obéir aux enfants, à être sage, à ne pas faire de vague, on conditionne le futur adulte à faire de même et à voir dans toute figure d’autorité des parents tout-puissants. Vous connaissez peut-être les fameuses expériences menées par Stanley Milgram? Soumis à une autorité qui leur enjoint d’envoyer des décharges électriques à un acteur qui joue un élève, 62% des expérimentateurs ont donné la charge maximale, mortelle… Il s’agissait pourtant de gens « normaux »! Alice Miller, dans ses ouvrages, ne dit pas autre chose quand elle dénonce la « pédagogie noire » à l’œuvre dans l’Allemagne du début du XXème siècle. Et quand on sait que la plupart des nazis interrogés au procès de Nuremberg en 1946 ont affirmé qu’ils n’avaient fait que suivre les ordres, cela en dit long sur les méfaits de l’obéissance aveugle et d’une éducation violente.

Je dirai donc, à la suite d’Emmanuelle Araujo dans son article « L’enfance, le chaînon manquant : une pinte de plus avec Pablo Servigne et François Ruffin »  que « l’enfance est politique ». Je la cite : « Quand et comment s’acquièrent une culture, des valeurs, des croyances, des habitudes ? À quelle période de la vie, croyez-vous ? Par l’intermédiaire de qui, pensez-vous ? Elle vous brûle les lèvres la réponse : l’éducation. Pas simplement l’instruction, mais toute notre manière d’élever les enfants, à l’école comme à la maison. Ce qu’ils vivent et impriment dans leur chair. Interrogeons-nous : dans notre enfance, est-ce qu’on nous a fait confiance ? Notre voix a-t-elle compté, avons-nous pu faire nos propres choix ? Avions-nous l’espace pour affirmer un point de vue différent ? Notre créativité a-t-elle été encouragée ? Est-ce qu’on nous a demandé notre consentement pour toucher notre corps ? »

Ou pour rebondir sur une actualité brûlante et tragique, je reprendrai dans la même veine les mots de Thierry Pardo : « les enfants à l’école ont-ils la possibilité de vivre une liberté d’expression aussi large que celle qu’on veut leur enseigner? Peuvent-ils être Charlie? Peuvent-ils faire un journal satirique, brocardant leurs professeurs, leur directeur avec le même mordant, la même tendre cruauté, la même irrévérence que celle qu’on leur montre dans le cours qui en parle? En un mot, cette liberté qu’on leur fait miroiter à l’extérieur de l’école est-elle en vigueur à l’intérieur? »

Et aujourd’hui, on met des masques aux enfants. Du point de vue de la liberté d’expression, le symbole est fort.

Si l’on considère la famille comme la première de toutes les institutions, la citation de Don Helmer Camara fonctionne à merveille, à ceci près que la mère de toutes les violences peut tout autant être un père ou conjoint du même sexe, et de toute façon, c’est souvent un système, le système familial, déjà, que l’enfant subit.

Au-delà de la notion de personne morale qui se cache derrière l’institution et empêche souvent de désigner des responsables, il y a bien des parents physiques derrière notre propre violence, celle qu’on s’inflige à soi-même (car dans la majeure partie des cas, les êtres humains retournent la violence contre eux-mêmes : suicides, dépressions, comportements limites, etc) et celle qu’on inflige à autrui.  Mais c’est si difficile d’aller explorer notre propre éducation, de remettre en question les violences subies enfant, en d’autres termes, de remettre en question nos parents… Et de se remettre en question en tant que parent! Pourtant, c’est le seul moyen de ne pas reproduire.

Je crois que seul un travail de sensibilisation à grande échelle pourrait aider la société à prendre conscience de la cause majeure qu’est l’enfance. Car il ne s’agit pas non plus de taper une énième fois sur les parents. C’est toute une culture qui est à refondre, et cela passe par le fait de mettre en perspective sa propre histoire, d’aller chérir à nouveau son enfant intérieur, de lui donner la main, en ayant conscience que nos parents, pour la plupart, ne sont rien d’autres eux-mêmes que des enfants qui n’ont pas été suffisamment respectés, parce que nos grands-parents eux-mêmes, etc, etc. Brisons enfin ce cercle vicieux pour entrer dans un cercle vertueux. « Il n’y a pas de parent parfait » comme dirait Isabelle Filliozat qui sera mon invitée dans le prochaine épisode, mais nous pouvons déjà commencer à cheminer vers une meilleure reconnaissance de la personne qu’est l’enfant et de la personne que nous avons été enfant. Nous pouvons nous informer. En tout cas, nous devrions être informés.

Alors quid de la poule ou de l’œuf, de l’origine de toute domination, de la violence structurelle versus la violence personnelle, je ne me prononcerai pas. Tout est tellement imbriqué. Mais le fil d’Ariane à dérouler, selon moi, mène à notre enfance, à notre regard sur les enfants, à notre considération  pour les êtres humains qu’ils sont, à notre respect de leurs droits fondamentaux.

Mère Térésa ne disait pas autre chose quand on lui a demandé  » Que pouvons-nous faire pour promouvoir la paix dans le monde ? » et qu’elle répondit ceci : « Rentrez chez vous et aimez votre famille ! La paix du monde commence à la maison. »

 

 

1. Un autre article de Jean-Pierre Thielland, membre de l’OVEO (Observatoire de la violence éducative) sur la question du masque à l’école : Blog Les enfants Libres

2. Sur la question de l’enfant roi, voir l’article d’Enfances Épanouies : https://enfancesepanouies.wordpress.com/2016/10/07/lenfant-roi-nexiste-pas/

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