« On ne retracera jamais l’origine de la violence parce que c’est quelque chose qui se balade dans le tissu des relations humaines. On est des transmetteurs de la violence. A partir du moment où on en est conscient, on peut faire le choix conscient de ne plus la transmettre. » Hervé Van Baren
Hervé Van Baren est ingénieur aéronautique lorsqu’il découvre il y a une douzaine d’années la non-violence active grâce à l’association Sortir de la Violence – dont j’ai interviewé les co-fondateurs dans les épisodes 20 et 21 -. Il décide de s’engager pour la non-violence et devient formateur. Au même moment, il rencontre l’œuvre et la pensée de René Girard. La théorie mimétique répond alors à nombre de ses questionnements sur la violence humaine et il poursuit des recherches dans ce sens, notamment sur l’inceste et la violence systémique, rendant compte de ses analyses dans le Blog l’Emissaire dont il est l’un des principaux contributeurs, la chaîne YT Recherches Mimétiques ou dans des conférences. Passionné par l’exégèse biblique anthropologique à laquelle il applique une lecture girardienne, il organise régulièrement des rencontres sur ce sujet. Hervé Van Baren est aussi toujours actif dans le milieu associatif belge, notamment par la formation et les visites de prisonniers.
ERRATUM : A 36’13, il s’agit bien sûr d’Olivier Duhamel et non d’Alain
Crédits :
Musique générique et mixage : Nikita Gouzovsky
Titre en fin de podcast : « Bad Wisdom » par Suzanne Vega
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Bonjour Célia,
J’ai trouvé cette discussion très intéressante avec vos questions et vos retours pertinents à Hervé Van Baren. Le code maçonnique irlandais repris par les Compagnons du Devoir stipule « Ne flatte pas ton frère, c’est une trahison, et si ton frère te flatte, crains qu’il ne te corrompe ». Ce n’est pas mon cas car j’ai écrit la même phrase d’introduction pour transmettre le lien à un ami et la vision éclectique de cet anthropologue est en elle-même très intéressante.
Il apparaît que les mythes ont souvent été construits sur des faits mal interprétés, travestis ou utilisés pour raconter une histoire satisfaisant une épopée ; et dans l’époque contemporaine ils sont basés sur le déni de réalité. L’incapacité des sciences à expliquer l’origine et la causalité des faits est aussi l’origine de mythes : Copernic et Galilée (avec selon la légende son « E pur si muove ») ont fait les frais de faire tomber celui de la Genèse, premier livre de la Tora devenu Pentateuque dans la Bible.
Les sciences ont beaucoup fait avancer les connaissances par l’observation rigoureuse des faits et la recherche expérimentale. La recherche récente en biologie moléculaire et la génomique ont permis, entre autre grâce à la PCR inventée dans les années 80 et mise en exergue pendant le covid, de mettre évidence que la plus grande part de l’ADN code pour la régulation de l’expression des gènes en protéines. Ces dernières, dont les enzymes qui catalysent les réactions chimiques, permettent de construire notre corps et notre cerveau.
Cette régulation passe par l’épigénétique qui est l’un des domaines dont les avancées ont conduit au concept d’Origines Dévelopmentales de la Santé et des Maladies au niveau international. Pour la version française :
https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/pdf/2016/01/medsci20163201p15.pdf
La régulation de l’expression des gènes passe par des modifications des bases de l’ADN, dont la méthylation, qui sont transmises à la descendance au même titre que les gènes. On sait par quelques études que certaines de ces régulations peuvent être effacées dans certaines conditions mentales. L’une des premières études a porté sur la transmission à leur descendance du stress provoqué par la tempête de 1999 à New-York aux parents qui ont eu alors des rapports sexuels : une augmentation de l’expression des gènes de stress a été retrouvée chez leurs enfants à l’adolescence. En 2015, une étude sur les effets d’une tempête de glace au Canada sur des femmes enceintes a montré des résultats similaires :
Pregnant women’s cognitive appraisal of a natural disaster affects DNA methylation in their children 13 years later: Project Ice Storm | https://www.nature.com/articles/tp201513
Les bonobos sont moins violents que les chimpanzés. Sachant que ce sont nos ancêtres les plus proches, nous sommes des transmetteurs de cette violence à des degrés divers : nous construisons notre ego et nos comportements d’adulte pour rendre les blessures de l’enfance moins visibles par la société. Se tourner vers la non-violence est un travail mental qui remodèle la pensée. Le faire après avoir procréé permet de se sentir mieux avec soi-même et les autres et de pouvoir les aider à réverser leur violence dans leur cerveau.
C’est utile mais pour moi, l’espoir réside dans le dépistage des enfants ayant vécus des violences et dans l’aide que peut leur apporter la psychologie clinique, la psychanalyse et la psychothérapie pour réverser les effets de ces violences qui ne s’exercent pas encore dans leur enfance envers leurs parents, qu’ils aiment, pour ne pas les trahir. La transmission de la violence s’épuisera progressivement dans les descendances successives comme sa spirale s’est créée par la reproduction et la rétribution que le pardon peut bloquer en attendant.
Vous remontez l’amour à la surface pendant la tempête de l’opportunité de la crise évoquée par Hervé Van Baren. La diminution de la violence permettra que l’amour que les parents transmettront à leurs enfants soit de moins en moins parasité par la violence : le « Qui bene amat, bene castigat » ancestral, transmit par nos parents et encore transmis à côté de l’éducation positive, est d’une contradiction flagrante et sera relégué au dictionnaire Gaffiot tant apprécié pour ses exemples parfois retrouvés dans nos versions latines…
Cordialement.
Jean-Yves
Merci Jean-Yves pour ce commentaire qui dépasse un peu mes compétences scientifiques! 😉
Vous concluez par ce qui me tient le plus à cœur pour transformer notre société vers la non-violence : l’amour inconditionnel, c’est-à-dire l’accompagnement respectueux des plus jeunes personnes.
Les références scientifiques ne sont présentées que pour soutenir les informations fournies. L’idée étant que la réflexion philosophique qui permet de se tourner vers la non-violence est sous-tendue par le fonctionnement physiologique et psychique de l’être humain.
Mon espoir est aussi dans la diffusion des connaissances nouvelles obtenues par des études qui permettent de conseiller les adultes s’occupant des enfants. Ma génération a des parents qui sont nés dans le premier quart du XXème siècle et qui ont eu des enfants entre 1940 et 1960. A cet époque, les médecins généralistes étaient partagés pour conseiller ou non de laisser pleurer les nourrissons, sans raisons scientifiques valables.
Des études ont depuis montré que laisser pleurer un nourrisson est délétère pour son fonctionnement psychique. Il finit toujours par s’arrêter après avoir vécu une violence qui a imprimé dans son cerveau une dérégulation des gènes de stress entre trois aires du cerveau qui vont concourir à construire par un enfant qui pensera que le monde dans lequel il arrive ne le secoure pas quand il va mal. L’amour pour les autres aura du mal à se développer puisque sa mère et son père ne lui en ont pas montré quand il en avait besoin pendant les 1000 premiers jours (gestation et 2 ans après la naissance). Judicieusement, Santé Publique France a un site pour que les parents qui pourraient encore ne pas savoir cela :
https://www.1000-premiers-jours.fr/fr/les-pleurs-de-bebe?
Passionnant échange qui va au fond des choses. Je ne pense pas pour ma part que les sciences dures puissent apporter grand chose à notre compréhension de nous-mêmes ni à l’effort qui nous est demandé ici de « transformer la société » en commençant par nous transformer nous-mêmes. L’immense apport de la « théorie mimétique » à l’anthropologie est d’avoir mis l’accent sur la relation à l’autre quand cet accent est généralement placé sur le « moi », sur la singularité de chacun : si nos désirs nous appartenaient en propre, nous en serions davantage prisonniers que de savoir qu’ils sont imités, copiés sur des modèles après tout contingents (on peut changer de modèles alors qu’on ne peut changer son ADN). Hervé van Baren tient un discours rigoureux, dans les deux sens de l’adjectif (d’une logique impeccable et d’une grande sévérité) et en même temps joyeux : plus les temps sont durs, nous dit-il, c’est-à-dire plus on révèle les mensonges qui vont de pair avec un ordre violent, plus on s’enfonce dans LA crise, plus on s’avance aussi vers la vérité ; et la vérité est salutaire.
Je préciserai une chose : ce sont bien des mythes qui ont suscité la vocation anthropologique de Girard puisqu’il a commencé par contredire le « mensonge romantique » au nom de la « vérité romanesque ». Mais en ce qui concerne ses travaux explicitement anthropologiques, portant sur les premières sociétés, ce sont les rites et non les mythes qui l’ont mis sur la voie royale du sacré ; c’est à partir d’un invariant culturel, le sacrifice, qu’il a développé une hypothèse sur les origines de la culture. Sanglantes origines : la violence serait bien, comme le dit Héraclite » le père et le roi de toutes choses ». C’est pour expulser la violence hors de la communauté qu’on a toujours sacrifié, c’est-à-dire tué des victimes. Le sacré ne serait autre que la violence s’expulsant elle-même dans le rite. Pour Girard et ses lecteurs, la question qui se pose aujourd’hui est bien la question de la non-violence mais dans des termes qui la rendent problématique : vu que la violence humaine n’a jamais été domestiquée, voire « expulsée » que par la violence, comment espérer en venir à bout sans se compromettre avec elle ?
Merci pour vos précisions. Concernant votre dernière remarque, il me semble que Jésus, Gandhi ou Martin Luther King ont montré qu’on pouvait domestiquer la violence et même en venir à bout sans violence. Cependant ils ont été sacrifiés finalement… C’est tout de même un espoir à mon sens que ce sera un jour possible pour l’humanité de transformer cette violence qui nous mine. Cela me fait penser à une légende que j’ai lue à propos d’une communauté en Malaisie, appelée « le peuple du rêve », qui aurait été totalement non-violente. Leur méthode était la domestication du rêve. Ils partageaient tous leurs rêves ensemble et s’ils faisaient du mal à quelqu’un dans un rêve, ils trouvaient le moyen de réparer ce mal dans la vie réelle. A force, ils parvenaient même à domestiquer leur rêve et à diriger des rêves conscients et créatifs pour la communauté. Il semblerait que ce peuple, s’il a existé, ait disparu après la 2nde GM…
La domestication des rêves que vous racontez, Célia, est très intéressante car elle montre la prise en compte de l’inconscient et la réparation d’un mal potentiel par leur évocation en groupe. Dans une psychanalyse le thérapeute connecte son inconscient à celui de son patient. L’évocation collective des rêves par des non professionnels naïfs, avec la sincérité qui s’y adosse, qui échangent sur leurs rapports, ressemble à une psychanalyse de groupe dont il serait intéressant de connaître les rêves et leur interprétation. On retrouve ici le remodelage de la pensée évoquée par Hervé Van Bergen qui est de travailler sur soi dans un esprit de paix avec l’exercice du pardon. Hervé parle d’un « changement de notre être » qui est plus profond que la modification de nos comportements – notre ego – construit avec des masques pour ne pas montrer nos blessures et je ne suis pas certain que l’on arrive à changer son être, sans avoir la compétence pour l’affirmer. Pour avoir lu et écouté beaucoup sur la psychologie et ses dérivés, il m’est apparu que pour vivre dans un esprit de paix c’est sur soi qu’il faut travailler. Après avoir lu « Le chevalier à l’armure rouillée » bien avant d’avoir écouté Hervé, cela m’a fait écrire dans mon poème « Sur le chemin de l’humanité » qu’il faut « … Apprendre à s’accepter plutôt que d’espérer Que notre cœur sera mieux à même d’aimer Et les larmes du manque, du chemin sont l’entrée. » et à propos de l’être et de l’ego « Se voir des yeux brillants dans un miroir sincère, Découvrir son visage qu’on ne connaissait pas… » puis sur l’imitation (je ne connaissais pas alors la théorie de Girard) « Repousser l’ambition que l’esprit nous commande Et qui nous fait voir l’autre comme un compétiteur, Pour choisir l’autre voie : la vérité demande De s’ouvrir vers les autres avec les yeux du cœur. » et enfin sur le pardon qui ne s’accorde bien qu’avec l’humilité de le recevoir et la sincérité de l’accorder « …Puis venir vers celui qui nous a pardonné Pour enfin pouvoir sincèrement pardonner. Alors on se relève, plus humain par le cœur Car on assume enfin les blessures qui l’habitent Et que l’on a masquées pour vivre sans limites… ».
Mon premier commentaire était pour montrer qu’il me semble possible de changer nos comportements pour découvrir notre être. J’y développe le fait que nous n’avons pas le pouvoir de changer la séquence de notre ADN (elle change sans notre accord de façon différente à chaque division cellulaire à cause des erreurs pendant sa réplication – une erreur sur 10 milliards – non réparées, avec, sauf exception, aucune répercussion sur notre santé). En revanche, l’expression de l’ADN qui construit notre cerveau est modifiable chez des mères qui ont subies le stress de tempêtes hivernales et ont transmis ce stress intégré dans leur génôme – les séquences d’ADN des gènes dont l’expression est augmentée ou diminuée par d’autres séquences d’ADN – à leur bébés. Il m’apparaît que je n’ai pas été assez clair sur ce point dans mon premier commentaire quand j’ai écrit : « réverser leur violence dans leur cerveau ». Il faut le vouloir – c’est indispensable – et réverser la violence dans son cerveau, c’est alors désactiver l’expression des gènes qui concourent à se comporter avec violence comme la victime d’inceste dont parle Hervé à la fin de son interview et qui s’est rendu compte qu’elle était toujours désagréable avec les gens, agressive, et qui leur envoyait des piques tout le temps avant de faire un travail sur elle pour s’en libérer. Le traitement des traumas, de guerre notamment, suit ce chemin (par exemple Reconstruire après les traumatismes de Judith Lewis Herman et la thérapie psychanalytique en générale). Mon second commentaire sur les pleurs de l’enfant qui a été publié le même jour que le vôtre était pour illustrer que l’interaction affective d’un adulte avec un nourrisson qui pleure change le futur de son comportement par une modification de la connection d’aires cérébrales par le même mécanisme.
Avant d’être assassinés, les trois personnes que vous évoquez, Célia, ont acquis pour des populations, dans l’ordre chronologique, le droit à l’amour, à l’indépendance et à l’égalité, et changé une partie de la pensée du monde et une partie des comportements pour longtemps. Ce sont des assassinats car il y a eu à chaque fois préméditation car ils ont été instruits pour éliminer des meneurs séditieux qui contrecarraient des pouvoirs établis. Il faut, il me semble, les distinguer des sacrifices aux dieux des temps anciens qui ont amenés les auteurs de la Thora à raconter que Dieu demande à Abraham de lui offrir son fils Isaac en holocauste pour éprouver son obéissance ; dieu arrêtera sa main, signe d’un dieu qui diffère de ses prédécesseurs ce qui peut être interprété comme une préfiguration de la parole rapportée par les évangélistes à Jésus. Christophe Lemardelé écrit dans son article des Cahiers d’anthropologie sociale, 2018, 16 : 149-158, « Une socio-anthropologie des rituels est souhaitable mais bien difficile à mettre en œuvre : le sacrifice peut apparaître dans une société donnée en fonction de l’organisation de celle-ci, de son niveau de différenciation sociale… ». Différent est le huis clos familial protecteur qui se referme sur la victime d’inceste et est en quelque sorte sacrifiée sur l’autel du silence, tandis que la loi essaye aujourd’hui de le fissurer progressivement pour que la parole des enfants puisse être entendue et que ces derniers puissent se reconstruire le plus tôt possible avec l’aide d’un thérapeute.